Ségolène Royale « Et si c’était elle ? »

Au mois d’avril 2007, après 12 ans de pouvoir du Président Jacques Chirac, c’est Nicolas Sarkozy, son ancien Premier ministre, qui se présentera pour l’ex Rassemblement pour la République (RPR) désormais UMP (Union pour un Mouvement Politique) depuis 2002. Ainsi, après 12 ans de présidence assurée par la droite, une partie du peuple français espère maintenant que la gauche parviendra au pouvoir de la France. La candidate socialiste, Ségolène Royal, jouit d’une bonne notoriété dans les médias et les journaux. Dès le 15 décembre 2005, soit près de 18 mois avant les élections présidentielles, Ségolène Royal fait déjà la une du Nouvel Observateur.« Et si c’était elle ? » titre le journal. Bien aimée par la population française, le monde de la politique commence à croire sérieusement en ses chances de remporter les élections présidentielles. Ségolène Royal est une bonne oratrice, elle fait preuve de pertinence dans ces déclarations et le sourire enthousiaste / sympathique qu’elle affiche contribue à enchanter les Français.  Néanmoins, face à elle se présentera un sérieux candidat : l’ancien premier ministre Nicolas Sarkozy. Celui-ci possède l’expérience du pouvoir acquise au cours de ses années en tant que Premier Ministre du Président Jacques Chirac. Orateur hors pair, Nicolas Sarkozy excelle dans l’art de mener des débats, ainsi la tâche s’annonce difficile pour la candidate socialiste, et l’issue des élections reste incertaine.

Le « phénomène Royal »

En décembre 2005, un reportage de France 2 évoque le « phénomène Royal ». En effet, suite à l’échec de Lionel Jospin aux élections présidentielles de 2002, de nombreux électeurs de la gauche s’attendaient à ce que François Hollande prenne le relais.  Mais c’était sans compter sur Ségolène Royal, alors députée, et qui occupe une place de plus en plus importante dans le paysage politique national. Après avoir été conseillère lors de la présidence de François Mitterrand dans les années 1980, elle a été députée de la d circonscription des Deux-Sèvres de 1988 jusqu’à 2007, année des élections présidentielles. Mais cela ne s’arrête pas là ; sous le gouvernement Pierre Bérégovoy, Ségolène Royal a été Ministre de l’Environnement, avant d’être nommée par Lionel Jospin sous la présidence de Jacques Chirac, Ministre de l’Enseignement scolaire puis de la famille. C’est également ce parcours remarquable qu’elle possède à l’âge de 53 ans seulement, qui fait d’elle une candidate solide et totalement crédible aux yeux des électeurs, pour succéder à Jacques Chirac comme présidente de la République Française.

Dans ce contexte, les différents journaux politiques nationaux s’enflamment autour d’une éventuelle candidature présidentielle de Ségolène Royal, qui serait également la première femme à briguer ce poste. Le Point, Paris-Match, VSD, les journaux sont nombreux à s’intéresser à Ségolène Royal, contribuant ainsi à sa popularité. Dans le paysage politique national, Ségolène Royal se distingue en mettant en avant le fait qu’elle soit une femme, et capable de mener de front plusieurs missions. On l’a notamment vu à la maternité, s’occupant de son enfant, montrant ainsi qu’elle est une femme comme les autres, et qu’elle est capable d’assurer les rôles de ministre et de mère de famille.

Pour Jacques Attali, écrivain, chef d’entreprise et économiste français, Ségolène Royal possède « une vision, une capacité d’être impopulaire pour faire aboutir les objectifs, une capacité de commander, ainsi qu’une vraie connaissance de la société française ». Bien qu’elle soit soutenue par les membres du parti socialiste, Ségolène Royal est bien consciente qu’elle ne bénéficiera d’aucun traitement de faveur. D’ailleurs, le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis l’affirme : « Elle ne peut être disqualifiée parce que c’est une femme, mais pas non plus préqualifiée pour cette raison ».

L’impact de la Une du Nouvel Obs

C’est surtout la Une du Nouvel Obs du 15 décembre 2005 qui fait véritablement sensation. « Et si c’était elle ? », titre le journal. Les journalistes ont voulu placer Ségolène Royal sur le devant de la scène en la présentant comme la potentielle future présidente. Ils soulignent son efficacité, insistent sur son culot mais aussi sur sa grande popularité auprès du peuple français. La semaine précédant la Une du Nouvel Obs, Ségolène Royal est intervenue sur la chaîne LCI devant plusieurs journalistes et politologues. Sa prestation n’a pas laissé les électeurs indifférents. C’est pourquoi le journal décide de faire sa Une avec la candidate socialiste, en détaillant son projet, son programme politique ainsi que ce qui la distingue des autres candidats. Pendant ce temps dans les sondages, la popularité de Ségolène Royal continue de grimper. Elle est désormais en tête, quasiment à égalité avec son principal rival, Nicolas Sarkozy, le candidat de l’UMP. En effet, dans un sondage Ipsos réalisé le 11 décembre 2006, Ségolène Royal pointe à 32% d’intentions de vote, tandis que Nicolas Sarkozy n’est qu’à 2 petits points devant elle.

La Une du Nouvel Obs accompagnée des affiches de campagne de Ségolène Royal (source : Le Nouvel Obs).

A ce moment-là, aucun autre candidat ne dépasse la barre des 20%. Le troisième homme n’est autre que Jean-Marie Le Pen, le président du Front national qui se situe à 16 % d’intentions de vote, suivi de François Bayrou qui n’obtient pour l’instant que 9 % dans ce même sondage. De plus, de nombreux candidats se situent entre 2 % et 4 % d’intentions de vote, c’est le cas de Arlette Laguiller pour Lutte Ouvrière, Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Marie-George Buffet du Parti Communiste Français (PCF), Dominique Voynet du parti Les Verts (LV) ou encore Philippe de Villiers du Mouvement pour la France (MPF). Après avoir fait la une du Nouvel Observateur, Ségolène Royal est invitée de plus en plus souvent sur les plateaux de télévision et dans les débats politiques. Elle a en ligne de mire l’élection présidentielle, mais il faudra patienter. La prochaine étape est la primaire de l’UMP, qui vise à déterminer quel candidat de droite sera désigné pour représenter l’UMP et viser la présidence.

La primaire socialiste de 2006

En décembre 2005, Ségolène Royal n’est pas encore candidate à la présidentielle et d’autres membres du parti socialiste peuvent également y prétendre. A commencer par François Hollande, qui bénéficie alors d’une solide côte de popularité en hausse au fil des années. 

Les deux députés entretiennent de très bonnes relations et leur couple n’est un secret pour personne, ils ont d’ailleurs des enfants en commun. D’ailleurs, François Hollande s’affiche comme principal soutien de Ségolène Royal et ne tente pas de se présenter à sa place. Parmi les autres candidats possibles pour la présidentielle, on peut citer Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, que Ségolène Royal affronte lors de la primaire de la présidentielle socialiste. Le premier tour a lieu le 16 novembre 2006 et le résultat est sans équivoque : Ségolène Royal sort victorieuse avec 60,65 % des voix. À elle seule, elle obtient davantage de suffrages que les deux autres candidats réunis. Dominique Strauss-Kahn réalise en effet un score de 20,69 %, et Laurent Fabius 18,66 %. Le résultat de cette primaire est sans appel, c’est donc désormais officiel, Ségolène Royal sera bel et bien la candidate du parti socialiste pour les élections présidentielles de 2007.

Suite à cette investiture, de nombreux médias mettent en avant la candidature de Ségolène Royal, la voyant déjà comme la nouvelle présidente de la République. C’est le cas de Libération qui publie en décembre 2005un article intitulé : « Et si, pour le PS, c’était la voie Royal ? » . Le journal évoque les raisons pour lesquelles les Français croient tant en elle. Cela passe principalement par le fait qu’elle soit « identifiée à des préoccupations de la vie quotidienne » telles que l’environnement, l’accouchement sous X, la pilule du lendemain, le congé paternité, etc… Est également évoqué le fait que la candidate rassemble les français en promouvant certaines valeurs plutôt considérées comme de droite, comme la famille, en alliant modernité et tradition. De nombreux français peuvent s’identifier, voire se reconnaître en Ségolène Royal.

Une qualification au goût mitigé

Malgré des sondages très prometteurs au début de la campagne, se situant autour de 32 % en décembre 2006, Ségolène Royal perd des points au fil des semaines. Elle perd 7 points en descendant sous la barre des 25 % quatre mois plus tard. Certains spécialistes politiques commencent à pointer une certaine incompétence dans ses prises de parole. Elle se qualifie pour le second tour de l’élection présidentielle de 2007 avec 25,87 % des voix, soit plus de cinq points derrière Nicolas Sarkozy qui termine en tête avec 31,18 %, soit plus de cinq points derrière Nicolas Sarkozy qui termine en tête avec 31,18 %. Tout reste donc encore jouable pour Ségolène Royal lors du second tour. La question cruciale est de savoir ce que décideront les électeurs de François Bayrou, qui l’ont plébiscité à 18,57 %. Issu du parti de l’union pour les démocraties françaises (UDF), le candidat ne donne pas de consigne de vote pour le second tour. Mais Ségolène Royal pourrait bénéficier d’une bonne partie des électeurs des autres candidats de gauche, et notamment ceux d’Olivier Besancenot, dont le score dépasse tout juste les 4% des voix. En revanche, le vivier de report des voix paraît légèrement moins important pour Nicolas Sarkozy. Toutefois, certains électeurs de Jean-Marie Le Pen, qui a tout de même obtenu 10,44% des voix au premier tour, pourraient bien voter pour l’ancien Premier Ministre.

Quoi qu’il en soit, le résultat final de cette élection présidentielle s’annonce très serré et les électeurs attendent désormais avec impatience le débat de l’entre-deux-tours. Pour mémoire, ce débat n’avait pas eu lieu lors de l’élection présidentielle de 2002, puisque Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen. Mais cette fois-ci, les 2 candidats se préparent ardemment pour livrer la meilleure performance possible et convaincre définitivement les électeurs français. Si Ségolène Royal n’est pas en tête, son retard semble encore rattrapable. Il faudra pour cela réaliser une belle performance lors du débat, et mettre en difficulté son adversaire, tout en restant calme et lucide. De façon générale, les débats se sont toujours bien déroulés, malgré quelques frictions entre Jacques Chirac et Lionel Jospin en 1995 notamment. Reste à savoir si cela se passera ainsi cette année entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.

Le débat marquant de l’entre-deux tours 

Très attendu par une grande majorité des électeurs, le débat du second tour de l’élection présidentielle se déroule le 2 mai 2007 à Paris. Créditée de près de 47 % des intentions de vote, Ségolène Royal doit réaliser une performance plus que convaincante pour espérer faire basculer le cours de cette élection présidentielle en sa faveur. Or le débat s’avère être difficile pour elle, et son adversaire Nicolas Sarkozy apparait très en maitrise de la situation et nettement plus présidentiable, grâce à sa posture calme et sereine, acquise notamment lors de son expérience en tant que Premier ministre aux côtés de Jacques Chirac. En revanche, Ségolène Royal semble tendue, crispée et se montre parfois sur les nerfs, donnant l’impression d’être mois en maitrise des dossiers.

Nicolas Sarkozy gère parfaitement son intervention dans le débat. Lors de sa première prise de parole, Ségolène Royal lui demande s’il se sent coupable de la situation en France. Aussi surprenant que cela puisse paraître, N Sarkozy répond tout sourire, regardant d’abord les organisateurs du débat « Puisqu’une question m’est posée, je pense que la moindre des courtoisies c’est d’y répondre », avant de poursuivre 

« Suis-je responsable d’une partie du bilan du gouvernement ? Oui Madame Royal. Vous avez parlé des violences, je suis responsable, j’ai été ministre de l’intérieur pendant quatre ans. »

Nicolas Sarkozy
Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy lors du débat de l’entre-deux tours (source : Ouest France).

Nicolas Sarkozy est impressionnant par son calme et sa maîtrise de l’intégralité des thèmes abordés. Ségolène Royal l’interrompt à de nombreuses reprises et se montre parfois sur la défensive, voire agressive. Une scène culte est survenue au cœur du débat. Comme l’affirme le journal Le Monde, « cette passe d’armes restera probablement dans les anthologies télévisuelles ». Lorsque la candidate du Parti Socialiste commence à hausser le ton en pointant Nicolas Sarkozy du doigt, tout en affirmant « Je suis très en colère », Nicolas Sarkozy l’interrompt « Calmez-vous ». Et la candidate du PS de répliquer sèchement à plusieurs reprises « Non, je ne me calmerai pas, je ne me calmerai pas ! », contrastant avec le ton serein utilisé par son adversaire pour lui répondre « Pour être présidente de la République, il faut être calme ». Pour de nombreux observateurs, cette séquence a valu un lourd tribut à Ségolène Royal. En effet, les Français attendent avant tout d’un Président de la République qu’il sache garder son calme et sa maitrise, en toute circonstance. Se mettre en colère face à Nicolas Sarkozy en plein débat présidentiel était une erreur. Pour le clan de l’UMP, cette séquence du débat est parfaite pour Nicolas Sarkozy, qui avait parfois cette image de « chien fou » qui lui collait à la peau et aurait pu le desservir. Au contraire, ce très vif échange lui a permis de redorer son blason et  N. Sarkozy apparait désormais comme un homme politique calme et posé. Tout simplement présidentiable. 

Jules Plisson*, un enquêteur avec lequel j’ai travaillé au sein de l’institut d’études Le Terrain, basé à Paris 11e, considère que ce débat a anéanti les derniers espoirs de Ségolène Royal. Selon lui « avant le débat, elle était estimée autour de 47 % d’intentions de vote, soit 6 points à rattraper par rapport à son concurrent. Ce sont des résultats d’estimations, mais le coût était difficile, certes, pas impossible pour autant. A condition de performer et d’être plus convaincante que Nicolas Sarkozy lors de ce rendez-vous. Or ce ne fut pas le cas. Pire, Sarkozy a été bien meilleur qu’elle ce soir-là. A ce moment-là, on se dit que l’élection est pliée. »

Ce débat télévisé de l’entre-deux tours a donc marqué un tournant majeur dans l’issue des élections présidentielles de 2007.

Renouvellement en vue pour la gauche

C’est ainsi qu’après la déroute de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, la candidate socialiste Ségolène Royal échoue aux portes du pouvoir en 2007. Elle réalise un score de 46,94 %, tandis que Nicolas Sarkozy est élu avec 53,06 % des suffrages. C’est un nouvel échec pour la gauche, qui n’a pas vu de candidat accéder au pouvoir depuis François Mitterrand, de 1981 à 1995. Cet échec entraine une réorganisation du parti, et de nombreux candidats sont décidés à reprendre le flambeau, parmi lesquels Gérard Collomb, Martine Aubry, Bertrand Delanoë et Benoit Hamon. Mais c’est surtout François Hollande qui se dégage rapidement comme le nouveau leader de la gauche. Afin de mieux renaitre après cet échec cuisant, le Parti Socialiste va ensuite se renouveler, avec le premier « Forum de la rénovation » qui s’est tenu à Avignon en novembre 2007. Les primaires pour l’élection présidentielle de 2012 opposeront Martine Aubry à François Hollande, qui affrontera également Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle.

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